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Paroles . Lyrics

À MA COUSINE (Tristan Klingsor, 1874-1966)

Ma belle cousine, je pars en voyage
Et je passe près de votre maison ;
Je m’en vais à Rouen et puis au Havre,
Si le temps est bon.

Le soleil se lève sur la grand-route
Et le matin descend dans le vallon ;
Mais vous dormez encor sans doute,
Votre blanc bonnet sur vos cheveux blonds.

Dormez !

Je m’en vais voir la ville aux vingt églises
Dont les mille clochetons grêles
Effilent leur dentelle de pierre grise
Dans le ciel parmi les tours et les tourelles.

Mais vous dormez !

Le soir au retour j’entrerai
Si je vois de la lumière aux fenêtres
Causer un peu, cousine !
Et vous me sourirez peut-être ?

À QUOI BON RÊVER (Alfred DesRochers, 1901-1978)

Calme au loin, la ville s’endort,
Dans mon cœur l’amour veille encor,
Ton sourire est un printemps,
Viens en refleurir mes vingt ans,

De ton absence je m’étonne,
Comme les feuilles en automne,
Tous mes rêves s’en vont au vent,
À quoi bon vivre si tout ment.

J’avais fait le rêve bien doux
De m’endormir sur tes genoux.
Depuis que tu n’es plus là,
Les rires ont des bruits de glas.

Le chagrin rôde dans ma chambre,
Comme les feuilles en septembre.
Tous mes rêves s’en vont au vent,
À quoi bon rêver si tout ment.

J’ai longtemps caressé l’espoir,
De t’avoir près de moi le soir,
Ton épaule à mon front las,
O bonheur perdu ! hélas,

Aujourd’hui tout n’est plus que doute,
Comme le sable sur la route,
Tous mes rêves s’en vont au vent,
À quoi bon croire si tout ment.

J’avais fait le rêve bien doux
De m’endormir sur tes genoux.
Depuis que tu n’es plus là,
Les rires ont des bruits de glas.

Le chagrin rôde dans ma chambre,
Comme les feuilles en septembre.
Tous mes rêves s’en vont au vent,
À quoi bon rêver si tout ment.

BLANC (Lionel Daunais, 1901-1982)

Elle était pâle et si blanche,
Marie-Blanche, Marie-Blanche,
Que tous les gars du pays
L’appelaient la blanche Marie.

Elle était née un dimanche,
Marie-Blanche, Marie-Blanche,
Son père attendait un mâle,
Elle arriva blanche et pâle.

On la cherchait dans les draps.
Où est-elle ? Ah ! la voilà !
Puis elle tétait sa nourrice
Toute blanche comme un lys.

Après le régime au lait
Vint la diète blanc de poulet,
Blanc manger et puis que sais-je,
Peut-être des œufs à la neige ?

Ça lui fit une paire de hanches,
Marie-Blanche, Marie-Blanche,
Mais vraiment son grand succès
C’était son beau teint de craie.

Comme un oiseau sur la branche,
Marie-Blanche, Marie-Blanche,
En tutu apprit la danse
Genre « Cygne de Saint-Saëns ».

Elle eut d’abord deux amants
(Faut tout de même un commencement).
Un meunier pour la farine
Et un banquier pour l’hermine.

Puis ce fut un psychiatre
Qui aima son corps d’albâtre,
Et le grand cheik Mokadem
Qui l’appelait « Double-crème ».

Ensuite elle connut Don Sanche,
Marie-Blanche, Marie-Blanche,
Un fabuleux blanc d’Espagne
Qui la noyait au champagne.

Cela fait bien des nuits blanches,
Marie-Blanche, Marie-Blanche,
À tant brûler la chandelle
On froisse un peu ses dentelles.

Elle était pâle et si blanche,
Marie-Blanche, sur les planches,
Que tous les gars du pays
Ont pleuré la blanche Marie.

CHANSON D’AMOUR (Éloi de Grandmont, 1921-1970)

Dans le temps, j’attendais ma belle
Au coin des rues, le cœur battant.
Dans le temps, j’attendais ma belle,
L’écolière que j’aimais tant.

J’ai conquis l’amour de ma belle
Dans un grand bois, le cœur battant.
J’ai conquis l’amour de ma belle,
La coquette que j’aimais tant.

J’ai perdu les yeux de ma belle,
Avec des cris, le cœur battant.
J’ai perdu les yeux de ma belle
Sans penser que je l’aimais tant.

Et j’ai pleuré, pleuré ma belle
De longues nuits, le cœur battant.
J’ai pleuré l’amour de ma belle,
Ce soir encore, je l’aime tant.

CHANSON DES AMOURS PERDUES (Lionel Daunais, 1901-1982)

Où sont allés ces doux instants
Remplis de charmes,
De douces larmes,
Où va cette fumée qui tourbillonne ?

Où sont allés tous nos serments
Et nos promesses,
Notre tendresse ?
Où s’en vont les étés quand vient l’automne ?

Le son de ta voix criant mon nom dans la forêt,
L’écho maintenant le tait,
Et cet arbre fier qui voit nos prénoms enlacés…
Le temps a tout effacé.

Où sont allés ces mots d’amants,
Ces jolies phrases
Et nos extases,
Où vont les feuilles mortes qui frissonnent ?

Où sont allés tous nos tourments,
Peines légères
Peines amères ?
Pour qui pleure le vent si monotone ?

Et pourtant comme il devait durer ce grand amour !
Nous le disions tous les jours,
En des mots si graves qu’ils nous laissaient tremblants…
« Toujours » « Éternellement ».

Où sont allées ces belles amours
À jamais perdues ?

CHANSON DU MAÎTRE CORDONNIER (Lionel Daunais, 1901-1982)

Je suis maître cordonnier,
Le métier est honorable
Que de gagner ses deniers
À chausser le contribuable.
Quand je tape sur mon cuir,
Je chante une chansonnette
Tout en m’offrant le plaisir
D’avaler quelques braquettes*.

[*braquette : petit clou à tête large]

Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
Coupons tiges et empeignes,
Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
Clouons semelles et talons.
Cogne cogne cogne! Tape tape tape !
Venez à ma belle enseigne,
Cogne cogne cogne! Tape tape tape !
Je suis l’ meilleur du canton !

Tiens ! Voici les gros souliers
Du maire de notre village,
Qui est en plus marguiller
Et des cochons fait l’élevage.
Il est aussi maquignon,
Pas très calé en algèbre,
Et pour grossir son pognon
Il dirige les pompes funèbres.

Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
Clouons talons et semelles,
Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
Vite ! Chaussons notre magistrat.
Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
Braquettons la vie est belle,
Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
Tiens ! Notre maire a les pieds plats !

Elle est venue un matin,
Parfumant toute ma boutique,
Me dire d’un air mutin :
« Monsieur, y’a queq’ chose qui m’ pique ! ».
C’était un méchant p’tit clou
Que j’aplatis avec rage,
En r’luquant son joli cou,
Et les grâces de son corsage.

Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
Le cœur me fond dans la bouche,
Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
« Combien monsieur que j’ vous dois ? »
Cogne cogne cogne ! Tape tape tape !
V’là que j’ai des idées louches,
Cogne cogne cogne ! Ouille ouille ouille !
Je m’ suis tapé sur les doigts !

DOUX TEMPS (Éloi de Grandmont, 1921-1970)

Doux temps des amours !
Le sable des plages
Est à peine sec,
Est à peine cuit
Que déjà le jour,
Que déjà la pluie,
Que déjà ton cœur
Que déjà le mien,
Que déjà l’amour !

Faudra-t-il dormir
À l’hôtel demain ?
Faudra-t-il pleurer ?
Ne plus voir l’éclair
Que dans les miroirs
Sur les meubles clairs,
La chaise en métal,
La porte d’émail,
Faudra-t-il mourir ?

Doux temps des amours !
Gamine farouche
Plus vive que l’aile
D’un oiseau sauvage,
Rieuse dans l’herbe,
Rieuse dans l’eau,
Dans le foin aussi,
Une seule fois
Pendant un orage.

Je tourne la page
De ce premier livre
Du temps des amours,
Du temps des orages,
Et des bras qui serrent
Et des yeux qui crient,
Du temps des folies
Qu’on fait bien avant
D’avoir ses vingt ans.

Du temps, du doux temps
De ces amours-là,
Orage en vacances
Soleil de la vie !

LAMOUR DE MOI (Lionel Daunais, 1901-1982)

L’amour de moi s’en est allé
Poursuivre un rêve fou
Que les marins ont hérité
De capitaines
Perdus dans les remous,
De femmes seules
Qui prient toujours debout.

Amoureux de jadis,
Amantes de toujours,
Pleuriez-vous chaque nuit ?
Mourriez-vous chaque jour ?
Alliez-vous au matin en perdant la raison
Brûler vos yeux au pan de l’horizon ?

Dans ma poitrine à chaque pas
J’entends son nom qui sonne.
Sur mon corps vide de ses bras
Souffle le vent, le vent glacé d’automne.
L’amour de moi au loin s’en est allé,
L’amour de moi, si loin
S’en est allé.

L’ÉPOUSE CHÂTIÉE (Paul Fort, 1872-1960)

« Que demandes-tu pauvre femme ?
Ce n’est pas ici ta maison. »
« Un peu du seuil, un rien de flamme
Pour fondre en mes yeux les glaçons. »

J’ai tant pleuré dans la montagne
Où criaient de froid les oursons.
J’étais la mauvaise compagne
Qui trompe un mari sans raison.

Il m’a chassée de son cœur vide,
Le vent dans le dos m’a poussée.
Un an les échos ont toussé
De ma toux sur les pins arides.

Je suis rompue et meurs sans âme.
« Que me veux-tu regard dément ? »
« Je voudrais voir près de la flamme
Une mère, une mère avec son enfant. »

L’HIRONDELLE (Pierre de Ronsard, 1524-1585)

Tais-toi babillarde hirondelle,
Ou bien je plumerai ton aile
Si je t’empoigne, ou d’un couteau
Je te couperai ta languette,
Qui matin sans repos caquette
Et m’étourdit tout le cerveau.

Je te prête ma cheminée
Pour chanter toute la journée,
Le jour, la nuit, quand tu voudras :
Mais au matin ne me réveille,
Et ne m’ôte quand je sommeille
Ma Cassandre d’entre mes bras.

L’INNOCENTE (Anonyme)

Je ne suis pas dans l’ignorance,
Je sais mon ba-bé-bi-bo-bu,
Déjà mon petit cœur ému,
Près d’un jeune berger commence
À faire ta-té-ti-to-tu.

Faites-moi donc présent, ma mère,
D’un mari da-dé-di-do-du
Qui soit sémillant, vif et dru,
Surtout d’un âge à pouvoir plaire
Car un vieux pa-pé-pi-po-pu.

Si pour moi sa tendresse dure,
J’aurai toujours de la vertu,
Mais s’il est brutal et bourru,
Ma bonne maman, je vous jure
Qu’il sera ca-qué-qui…

LA DAME À LA POIRE (Lionel Daunais, 1901-1982)

La dame choisit une poire
Et ce me fut très agréable
Puisqu’elle était assise à table,
Tout près de moi, à Saint-Liboire.

Comme elle savait tenir un fruit,
Quelle jolie voix de violoncelle
Accompagnait ses deux prunelles
Et son corsage qui bissait : oui !

Elle mordit à belles dents
Qu’elle avait plus blanches qu’ivoire,
Elle mordit dedans la poire
Comme fit dans la pomme, Adam.

Puis gentiment me la tendit
Si bien que nul ne s’aperçut
Que dans le fruit j’avais mordu
Pendant qu’entrait son vieux mari.

Le vieux s’approcha sans mot dire.
Se croyait-il déjà cocu ?
Hélas ! c’est bien moi qui le fus.
Poire ! va sans dire.

LA TOURTIÈRE (Lionel Daunais, 1901-1982)

Si la France a ses rillettes
Son foie gras, ses crêpes Suzette,
La Belgique a ses gaufrettes,
Et Milan son escalope
Le Portugal a ses sardines
Toronto sa margarine
L’Espagne a ses mandarines
Et l’Anglais son mutton chop.
Mais nous, on fait exception,
Au diable l’importation !

À part les patates,
Les patates à part,
Le ragoût de pattes,
La soupe aux pois,
Qu’est-ce qu’on dévore, Ah !

Mais la toure, toure, tour’
La tourtière
Qu’on savoure, voure, vour’
Toute entière
Quand c’est fête, fête, fêt’
Ménagères !
Faites, faites, faites, fait’
Des tourtières !

On vante la bouillabaisse
Que font cuire les marseillaises
On tourne la mayonnaise
De Tonkin jusqu’au Chili.
La choucroute est allemande
Le fromage de Hollande
Chop suey garni d’amandes
Tout ça, c’est des chinoiseries !
Mais nous, on est des gourmets,
On aime les bons mets !

À part le « guerton »*,
Qu’est guère dans le ton, 
Boudons le boudin,
Il faut manger quand on a faim. Ah !

[*guerton : synonyme de cretons]

Mais la toure, toure, tour’
La tourtière
Qui nous bourre, bourre, bourr’
La soupière
Et ça beau, ça beau, ça beau
Pas vous plaire
Je trouve ça beau, ça beau, ça beau,
Les tourtières !

Si vous voulez la recette
C’est facile comme une omelette :
Vous mettez dans une assiette
Des machins, mais pas trop gros.
Ajoutez des p’tites affaires
Videz-y toute la salière
Embrassez la cuisinière
Et placez dans le fourneau.
Mais pour faire du « flafla »
Faut pas s’arrêter là.

Pour casser le jeûne, 
Il faut le je ne…
Le je ne sais quoi,
Pour relever ce plat de choix. Quoi ?

Tout d’abord la dent en or
De grand-père
De la part de Tante Aurore
Ses jarretières
Pour pas faire de peine encore
Au beau-père
Ajouter la couenne de lard
De la belle-mère !

À Noël que nous sert-on ?
De la tourtière
Le Jour de l’An que mange-t-on ?
De la tourtière
Et aux Rois pour le gueuleton ?
De la tourtière 
De la panse jusqu’au menton
De la tour
Toureloure
De la tourelourelour,
De la tourtière !

LE CERCLE DE COUTURE (Lionel Daunais, 1901-1982)

Bonjour ma chère, bonjour ma chère
Votre chapeau est un bijou.
Merci très chère, suis-je la première ?
Votre salon est chou comme tout !

Bonjour Germaine ! Et votre rhume ?
Je vous conseille un bon sirop.
Vous apportâtes, je le présume,
Votre couture et vos tricots.

Ah ! Tricotons nos laines
Et cousons nos boutons,
Reprisons nos mitaines,
Nos bas de coton.

Jeudi dernier vous visitâtes
Bien entendu l’exposition
De ces jeunes peintres juautomates
Dont les tableaux donnent le frisson.

C’est prodigieux ! C’est formidable
Qu’avec un tube et des pinceaux
On puisse peindre un suc’ d’érable
Qui parle à l’âme et au cerveau.

Ah ! Tricotons nos laines
Et cousons nos boutons,
Reprisons nos mitaines,
Nos bas de coton.

Avez-vous su ? Avez-vous su
Que la poupée de Gabrielle
Fut aperçue, fut aperçue
Au bras du jeune polichinelle.

C’est évident, c’est évident
Qu’elle devient une péronnelle,
Comment peut-on faire autrement
Avec une mère comme qu’elle a !

Ah ! Tricotons nos laines
Et cousons nos boutons,
Reprisons nos mitaines,
Nos bas de coton.

Hier au soir j’ai rencontré
Ce petit frais de Henri Georges
Ayant refusé de l’embrasser
II m’a chipé mon sucre d’orge.

Ma pauvre amie, quel polisson,
On n’est plus sûres même dans la rue,
Je vous le dis, tous les garçons
Ne sont que des individus.

Ah ! Tricotons nos laines
Et cousons nos boutons,
Reprisons nos mitaines,
Nos bas de coton.

Approchez-vous, j’ai un secret,
Marie a un sac de noisettes
Mais elle le garde, à ce qui paraît
Pour les empiffrer en cachette.

Que voulez-vous, elle est gourmande
Et c’est là son moindre défaut.
Encore du thé, ma chère Armande ?
Prenez un quatrième gâteau.

Ah ! Tricotons nos laines
Et cousons nos boutons,
Reprisons nos mitaines,
Nos bas de coton.

LE CHIEN DE JEAN DE NIVELLE (Tristan Klingsor, 1874-1966)

C’est le chien de Jean de Nivelle
Qui se sauve quand on l’appelle :
L’amour est pareil.

Il met son nez partout où il n’aurait que faire
Et rend le mari fou de sa voisine
Et la femme amoureuse du clerc du notaire.

Il s’amuse à brouiller le cœur des belles
Comme des billes dans un sac de soie fine,
Et vient quand personne ne l’appelle.

Mais sitôt qu’on voudrait voir ses oreilles
Il fuit et montre sa queue au bout des venelles,
Mesdemoiselles ;

C’est le chien de Jean de Nivelle
Qui se sauve quand on l’appelle :
L’amour est pareil.

LE CŒUR OUBLIEUX (Nicolas Boileau, 1636-1711)

Voici les lieux charmants où mon âme ravie
Passait à contempler Sylvie.
Les tranquilles moments si doucement perdus !
Que je l’aimais alors ! Que je la trouvais belle !
Mon cœur, vous soupirez au nom de l’infidèle !
Avez-vous oublié que vous ne l’aimez plus ?

C’est ici que souvent errant dans les prairies,
Ma main des fleurs les plus chéries
Lui faisait des présents si tendrement reçus.
Que je l’aimais alors ! Que je la trouvais belle !
Mon cœur, vous soupirez au nom de l’infidèle !
Avez-vous oublié que vous ne l’aimez plus ?

LE DIABLE DANS LA NUIT (Paul Fort, 1872-1960)

Le diable court dans la nuit
Avec ses yeux d’ rubis,
Avec sa p’tite fourchette
Fait la chasse aux souris

Il en tue trois cent mille,
Les jette à l’abreuvoir,
Avec sa p’tite fourchette
Fait cuire le potage,

Il le fera manger
Aux amants malappris
Qui ne pensent qu’à rire
Et tout l’ jour se pourlichent,

Et quand auront vomi
Leurs cœurs à l’abreuvoir,
Avec sa p’tite fourchette,
Il en fera des écuelles

Qu’il attachera, toutes,
À sa queue verdoyante
Pour faire du bruit, du bruit
Pendant les nuits d’orage.

LE PETIT CHIEN DE LAINE (Lionel Daunais, 1901-1982)

C’était un petit chien de laine
Qui avait une queue de coton,
À cause de ce phénomène
On l’avait baptisé Chiffon.

Son père était un vrai molosse
Qui aimait chiquer la guenille,
Sa mère avait le poil en brosse
C’est pour ça que tenant d’ famille

C’était un petit chien de laine
Qui avait une queue de coton,
Il la portait comme une antenne
Pour capter les qu’en dira-t-on.

Un jour son père et puis sa mère
Lui dirent dans leur langage de chien :
« Tu vas rester bien enfermé
Dans le placard d’ la salle de bain ».

« Où allez-vous ? » pleura l’ toutou
« J’ai peur tout seul dans ce placard »
« Cesse d’aboyer, va te coucher
Ou tu n’auras plus d’épinards ! »

Et les parents du chien de laine
Partirent la patte dans la main
Présider au Parc Lafontaine
Une grande exposition d’humains.

Et le pauvre petit chien de laine,
Tout seul dans son noir cabanon,
Essuyait ses larmes, tontaine,
Avec-que sa queue de coton.

Il s’endormit tout comme un gosse
La tête sur une paire de galoches
Rêvant que la fée Carabosse
Lui taillait la queue en filoches.

C’était un petit chien de laine
Qui avait une queue de coton
Dont n’a pas parlé Lafontaine,
Oui, mais là n’est pas la question.

Or dans l’ placard, affreux cauchemar,
Y’avait des mites en quantité
Qu’avaient une faim, une faim de chien,
C’est l’ cas d’ dire quelle calamité.

Les v’la qui bouffent les belles touffes,
Lui laissent les flancs à découvert,
Lui rasent la tête, ramassent les miettes
En gardant l’ croupion comme dessert.

Quand les parents du chien de laine
Revinrent de l’exposition,
Il ne restait du chien de laine
Qu’une petite queue de coton.

LE SACRISTAIN (Lionel Daunais, 1901-1982)

Benoit, notre sacristain
On le voit à tous les matins
Dès le petit jour, l’œil en abat-jour
Allant, venant, bon an, mal an,
Clopin, clopant le nez au vent.
Que ferait monsieur le Curé
S’il n’était pas éveillé
Ma foi, par Benoit ?

Benoit, va sonner matines,
Nettoie ensuite la cuisine,
Mouche les lampions, porte le goupillon,
Tient la burette, frotte les banquettes,
Après la quête compte la recette.
Qui boit le vin du Curé
Pendant le miserere
Ma foi, c’est Benoit !

Benoit, mais c’est une crème
On le voit quand il y a baptême
Tourner, s’affairer, porter le nouveau-né,
Noël venu mettre un fichu
Au p’tit Jésus qu’est là tout nu.
Que feraient les marguilliers
Pour les comptes de janvier
Ma foi, sans Benoit ?

Benoit, tout endimanché, 
Pourquoi cet air empesé ?
Un petit œillet à son beau gilet,
Tout le monde est là en falbalas,
Ah quel gala ! Quel tralala !
Qui ce matin sera le mari
D’une ancienne enfant de Marie,
Ma foi, c’est Benoit !

Benoit ! Oui, Monsieur le Curé !
Benoit ! Oui, mon adorée !
Benoit ! À la sacristie !
Benoit ! Va bercer le p’tit !
Benoit ! Sonne l’angélus !
Benoit ! Donne-lui sa suce !

Benoit ! Benoit ! Benoit !
Embrasse-moi !
Oui, Monsieur le Curé !
Euh ! Oui, mon adorée !
Oh la, la, la, la !
C’est trop pour un seul homme !

Benoit, notre sacristain
On le voit, à tous les matins
Dès le petit jour, l’œil en abat-jour
Allant, venant, bon an, mal an,
Clopin, clopant, le nez au vent.
Que ferait monsieur le Curé,
Que ferait le monde entier
Ma foi, sans Benoit ?

LE VENT DES FORÊTS (Paul Fort, 1872-1960)

Que me fait le vent des forêts
Qui dans la nuit berce des palmes ?

Que nous veut le vent des forêts
Qui chez nous inquiète la flamme ?

Que cherche le vent des forêts
Qui frappe aux vitres, puis s’éloigne ?

Qu’a-t-il vu le vent des forêts
Pour qu’il pousse des cris d’alarme ?

Qu’ai-je fait au vent des forêts
Pour qu’il déchire ainsi mon âme ?

Que m’est donc le vent des forêts
Pour que je verse tant de larmes ?

LE VOYAGE DE NOCES (Lionel Daunais, 1901-1982)

Ma femme est partie
En voyage de noces
Un treize de janvier.
À cause du prix
Du voyage en « bus »
J’ai pas pu y aller.
Heureusement pour moi
Avant d’ s’en aller
A m’a trouvé d’ quoi
Me désennuyer.
Y’a le train à faire,
Le bois à couper,
La neige à pelleter.

Et pis un matin
J’ai eu un p’tit mot
D’ sa belle écriture :
« Dans un magasin
J’ai vu un manteau,
Voici la facture.
À l’hôtel, hier,
Sais-tu j’ai connu
Un vrai millionnaire
Qui vend des voitures
De seconde main.
Toi, comment vas-tu ?
Pour moi, ça va bien. »

A s’ennuie d’ l’hiver
D’après c’ qu’elle écrit
À tous ses parents.
Paraît qu’ les hivers
En Californie
C’est pas en même temps.
C’ qu’a va en avoir
Des choses à m’ conter,
Ça forme le savoir
Que de voyager.
On ne sait jamais,
J’ vas quand même laisser
L’ fanal allumé.

Tout est prêt pour elle,
La chambre d’en haut
Et le potager.
Les fleurs sont très belles,
Le blé est bien haut,
Le poulain est né.
J’ voudrais ben lui dire
Que le veau engraisse
Mais j’ peux pas écrire,
J’ai pas son adresse.

Ma femme est partie
En voyage de noces
Un treize de janvier.
A était ben jolie
Le matin des noces
En robe de mariée.

LES LARMES (Poème anonyme arabe du XIIIe siècle)

Elle m’a dit :
Pourquoi tes larmes sont-elles si blanches ?

J’ai répondu :
Mon aimée, je pleure depuis si longtemps,
Que mes larmes ont blanchi
Comme ont blanchi mes cheveux.

Elle m’a dit :
Pourquoi tes larmes sont-elles noires ?

J’ai répondu :
Je n’ai plus de larmes,
Ce sont mes prunelles
Qui lentement fondent en pleurs.

LES MOTS D’AMOUR (Éloi de Grandmont, 1921-1970)

Les mots d’amour
Vont-ils guérir les maux d’amour ?
Dis-moi tous les jours que tu m’aimes,
Ça fait ronron, dis-le quand même
En pensant à n’importe quoi,
En oubliant que c’est à moi,
Redis-moi souvent que tu m’aimes.

Les mots d’amour
Pourraient guérir les maux d’amour
Si tu me disais que tu m’aimes.
C’est ça mentir, dis-le quand même
En racontant n’importe quoi,
Tu oublieras que c’est à moi
Que tu dis tendrement « je t’aime ».

Les mots d’amour
N’ont pu guérir les maux d’amour.
Tu ne veux vraiment plus qu’on aime,
Tu te moques de ce que j’aime,
Tu préfères n’importe quoi
À tout l’amour que j’ai pour toi,
J’ai tout perdu car moi je t’aime.

Un mot d’amour
Pourrait guérir celui qui meurt d’amour.

LES PERCEURS DE COFFRES-FORTS (Lionel Daunais, 1901-1982)

C’est nous les perceurs de coffres-forts,
Habiles à manier le bâton fort,
Si nous ne chantons pas très fort
C’est qu’on n’a pas le coffre fort.

Fermez la porte ! Poussez le verrou !
À gauche ou à droite tournez le bouton.
Peu nous importe ! En bons filous
On ira jouer dans vos combinaisons !

C’est nous les perceurs de coffres-forts,
Habiles à manier le bâton fort,
Si nous ne chantons pas très fort
C’est qu’on n’a pas le coffre fort.

Si vous trouvez que votre galette
N’est pas en sûreté dans un vieux bas de laine,
Tenez bouclée votre cassette,
On allumera la torche acétylène.

Monsieur le Richard toujours inquiet
Des soucis de votre haute situation,
Dans vos plumards dormez en paix,
On vous soulagera de vos obligations.

C’est nous les perceurs de coffres-forts,
Habiles à manier le bâton fort,
Si nous ne chantons pas très fort
C’est qu’on n’a pas le coffre fort.

Aristocrates, nous mettons des gants
Pour palper les perles fines, en connaisseurs
Très diplomates, on dit, galants,
Passez-moi je vous prie la pince, monseigneur.

Le boulot fait sans faire de bruit,
On redonne à la pièce son allure familiale,
Un coup de balai sur vos tapis,
On efface même nos empreintes digitales.

C’est nous les perceurs de coffres-forts,
Habiles à manier le bâton fort,
Si nous ne chantons pas très fort
C’est qu’on n’a pas le coffre fort.

MONSIEUR LE CURÉ (Lionel Daunais, 1901-1982)

Monsieur le Curé a perdu son chapeau ;
Honni soit qui mal y cause
J’en connais qui perdent aut’ chose !
Dominum nostrum,
Minimum et maximum,
Faut prier pour le r’trouver,
Kyrie Eleison.

Monsieur le Curé a perdu sa perruque ;
Faudra pas que ça paraisse
Le dimanche à la grand-messe !
Dominum nostrum,
Ah cré nom d’un p’tit bonhomme,
Faut prier pour la r’trouver,
Kyrie Eleison.

Monsieur le Curé a perdu son bedeau ;
Que fera-t-il les jours de fête
Quand viendra le temps de la quête ?
Dominum nostrum,
Casserole d’aluminium,
Faut prier pour le r’trouver,
Kyrie Eleison.

Monsieur le Curé a perdu son sermon ;
Ça veut dire que Casimir
Ne pourra pas s’endormir !
Dominum nostrum,
Passez-moi mon verre de rhum,
Faut prier pour le r’trouver,
Kyrie Eleison.

Monsieur le Curé a perdu son grelot ;
C’était son petit bibelot
Bien commode pour son berlot !
Dominum nostrum,
En cirant l’ linoléum,
Faut prier pour le r’trouver,
Kyrie Eleison.

Monsieur le Curé a perdu son chat gris ;
Y’était pas aristocrate
Mais on a pitié d’ la chatte !
Dominum nostrum,
En mangeant de la tarte aux pommes,
Faut prier pour le r’trouver,
Kyrie Eleison.

Monsieur le Curé a perdu sa servante ;
Elle s’est mis la corde au cou
Avec un gars de chez nous !
Dominum nostrum,
Aller se bâdrer d’un homme,
Faut prier pour la sauver,
Kyrie Eleison.

Monsieur le Curé a le rhume de cerveau ;
Quand au Ciel il s’en ira
C’est Saint Pierre qui lui dira :
« Dominum nostrum,
Éternue in aeternum,
Requiescat in pace,
Kyrie Eleison. »

POÈME HINDOU (Sarojini Naidu, 1879-1949)

Tu tenais entre tes lèvres une fleur sauvage,
Une rose donnée pour mettre à ton corsage
Et tes dents la déchiraient avec un dédain moqueur.
Hélas ! c’était mon cœur !

Tu tenais entre tes lèvres une coupe d’argent,
Je t’ai vue boire distraite, et d’un geste indifférent,
En faisant la grimace, la jeter dans la flamme.
Hélas ! c’était mon âme !

SIMONE OU LES FEUILLES MORTES (Rémy de Gourmont, 1858-1915)

Simone, allons au bois : les feuilles sont tombées ;
Elles recouvrent la mousse, les pierres et les sentiers.

Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ?

Elles ont des couleurs si douces, des tons si graves,
Elles sont sur la terre de si frêles épaves !

Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ?

Elles ont l’air si dolent à l’heure du crépuscule,
Elles crient si tendrement, quand le vent les bouscule !

Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ?

Quand le pied les écrase, elles pleurent comme des âmes,
Elles font un bruit d’ailes ou de robes de femme :

Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ?

Viens : nous serons un jour de pauvres feuilles mortes.
Viens : déjà la nuit tombe et le vent nous emporte.

Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes ?

THÉO (René Kerdyk, 1885-1945)

Voyant une femme aux yeux gris, 
S’approchant d’elle, Théo rit.

Il suit la dame à l’instant même
Puis, ayant aimé, Théo raime.

Ayant aimé trois fois encor,
Un peu fatigué, Théo dort.

Mais oyez la fin de l’idylle ; 
Sans remercier, Théo file !

TROIS FLOCONS DE NEIGE (Lionel Daunais, 1901-1982)

Trois petits flocons de neige
Las de voyager,
Trois petits flocons de neige
Si légers, légers.

Trois petits flocons bohèmes
Pour se reposer
Sur un toit de Bethléem
Vinrent se poser.

C’était une pauvre chaumière
Et par le toit percé
Virent une étrange lumière
Qui semblait l’inonder.

Trois petits flocons curieux
Virent un nouveau-né
Un bœuf soufflait de son mieux
Pour le réchauffer.

Trois petits flocons émus
Ont vu la maman
Et le bon papa barbu,
Tous deux grelottant.

Les petits flocons tout aimables
Décidèrent d’entrer
Par le toit de la pauvre étable
Sans se faire inviter.

Dans la barbe du bon père
Le premier devint
Une belle étoile claire
Pour l’enfant divin.

Le second fondit en larmes
Sur la joue de Marie
Fut une tant douce larme,
Que l’enfant sourit.

Le troisième, le plus léger,
Comme un fou papillon
Ne sachant sur quoi se poser,
Tournait, tournait en rond.

La menotte de Jésus
Se tendit vers lui
Le petit flocon perdu
Vite s’y blottit.

Et, penchée vers son enfant
La maman, ravie,
Entendit distinctement
Son premier gazouillis.

UNE PETITE CHANDELLE (Lionel Daunais, 1901-1982)

Une chandelle, telle une bergère,
Aimait son roi, grand cierge blond,
Le plus grand roi qui fut sur terre.
Qu’il était beau, qu’il sentait bon.

Hélas ! Messire le grand cierge
Ignorait tous ces sentiments,
Planté tout droit comme une asperge
Dans son beau chandelier d’argent.

Un jour de Pâques, la jolie chandelle
Ouvrit son cœur à Sainte Vierge :
« Faites qu’il m’aime, lui dit-elle,
Je vous ferai brûler un cierge. »

Il s’alluma sans plus attendre,
Se mit à fondre tout près d’elle,
En se penchant devint si tendre,
Qu’elle en vit trente-six chandelles.

Et la petite se sentit des ailes
Comme les anges au Paradis
Et les lampions dans la chapelle
Rougirent comme des rubis.

Ce fut, le temps d’une étincelle,
Un grand brasier ardent d’amour
Où s’éteignit une chandelle
Pour un cierge beau comme le jour.

Comme je chante cette ritournelle,
Petite sœur s’est endormie.
Il vaut mieux souffler la chandelle.
Bonsoir à tous et bonne nuit !