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Notes

DĂ©couvrir Daunais

Lionel Daunais, ca. 1935. Photo: Fonds La Presse, Archives nationales du Québec.

C’est Ă  l’adolescence que j’ai rencontrĂ© une Ɠuvre de Lionel Daunais pour la premiĂšre fois. Il s’agissait de la mĂ©lodie Le vent des forĂȘts qu’apprenait un camarade de classe. C’était la premiĂšre fois que j’accompagnais un chanteur et que je jouais la musique d’un compositeur canadien. J’ai encore aujourd’hui un vif souvenir de l’élĂ©gante calligraphie de la partition manuscrite et du plaisir ressenti en jouant l’interlude pianistique un poco appassionato de cette mĂ©lodie au pathos avouĂ©.

Dans la vingtaine, ma deuxiĂšme rencontre a Ă©tĂ© celle du cycle Fantaisie dans tous les tons, une Ɠuvre parmi les plus connues du compositeur, que j’ai jouĂ©e Ă  la radio et en concert avec l’excellent baryton quĂ©bĂ©cois Jean-François Lapointe.

Quelques annĂ©es plus tard, j’ai participĂ© Ă  un spectacle — brillamment conçu et montĂ© par la comĂ©dienne et metteure en scĂšne Marie-Lou Dion — entiĂšrement consacrĂ© Ă  Lionel Daunais et c’est lors de ce troisiĂšme rendez-vous musical concluant que ce projet discographique a commencĂ© Ă  prendre forme.

Programme

J’ai veillĂ© Ă  construire le programme afin qu’il reflĂšte la diversitĂ© des styles d’écriture du compositeur, qui va de la mĂ©lodie française Ă  la chanson humoristique d’inspiration folklorique, en passant par la chanson de variĂ©tĂ© et celle pour la jeunesse. Pour m’assurer de respecter les intentions de l’auteur-compositeur, j’ai consultĂ© les manuscrits autographes qui se trouvent au Fonds Lionel Daunais des Archives nationales du QuĂ©bec.

En plus des Ɠuvres pour une voix, vous entendrez des duos pour soprano et baryton, des trios pour soprano, mezzo-soprano et baryton, de mĂȘme qu’un duo pour soprano et flĂ»te. Le piano quant Ă  lui est omniprĂ©sent sur l’ensemble de l’album.

Mélodies françaises

Francis Poulenc, ca. 1954

Ce programme accorde une place de choix au style mĂ©lodie française. L’écriture de Daunais rappelle çà et lĂ  celle du compositeur français Francis Poulenc qui connaissait les Ɠuvres du MontrĂ©alais et lui a dĂ©clarĂ© : « Il y a souvent un esprit cocasse dans votre musique et lorsque quelqu’un vous en fera la remarque, n’en rougissez pas, c’est un don trĂšs rare ! ».

À partir des annĂ©es 1870, il est d’usage que la partie de piano d’une mĂ©lodie française cherche Ă  Ă©voquer l’ambiance poĂ©tique du texte chantĂ©, la ligne mĂ©lodique de l’instrument dialoguant frĂ©quemment avec celle de la voix. Les mĂ©lodies d’Henri Duparc, Gabriel FaurĂ© et Claude Debussy tĂ©moignent de cette symbiose entre le texte et la musique, la voix et le piano, et c’est dans cette tradition que se situent les mĂ©lodies de Lionel Daunais.

PoÚtes français et étrangers

Deux Ɠuvres de cet album ont des textes anonymes : Les larmes, une adaptation française d’un nostalgique poĂšme arabe du 13e siĂšcle, et L’innocente, qui nous prĂ©sente une jeune femme futĂ©e.

La gracieuse lĂ©gĂšretĂ© de L’hirondelle, sur une odelette de Pierre de Ronsard (1524-1585), grand poĂšte de l’amour de la Renaissance française, est Ă©lĂ©gamment mise en musique, tout comme Le cƓur oublieux, sur un poĂšme charmant et touchant de Nicolas Boileau (1636-1711), auteur de L’art poĂ©tique et grand admirateur de MoliĂšre, Lafontaine et Racine.

C’est avec finesse que Daunais dĂ©peint l’atmosphĂšre automnale et le spleen de Simone ou les feuilles mortes, sur un texte de RĂ©my de Gourmont (1858-1915), auteur fĂ©cond et figure majeure du symbolisme littĂ©raire.

Paul Fort

Trois mĂ©lodies s’inspirent de l’abondante Ɠuvre poĂ©tique de Paul Fort (1872-1960), Ă©lu « prince des poĂštes » par la presse parisienne en 1912 : l’ampleur grandissante des envolĂ©es de la ligne vocale dans Le vent des forĂȘts souligne l’angoisse des questions posĂ©es dans le texte; l’énergique Le diable dans la nuit met en garde les amants grossiers; L’épouse chĂątiĂ©e, l’une des mĂ©lodies les plus Ă©mouvantes du compositeur, traduit le repentir et la profonde souffrance d’une femme infidĂšle.

PoĂšme hindou, Ă©galement placĂ© sous le signe du dĂ©chirement, est une traduction en français de quelques vers de Sarojini Naidu (1879-1949), surnommĂ©e « le rossignol de l’Inde » en raison du lyrisme et de la riche imagerie de sa poĂ©sie.

Sur un ton nettement plus lĂ©ger, ThĂ©o relate une conquĂȘte amoureuse rapide et brĂšve, texte oĂč le poĂšte RenĂ© Kerdyk (1885-1945) joue avec les sons, et ligne musicale oĂč le compositeur se plaĂźt Ă  Ă©tirer la voix jusqu’au suraigu.

Du peintre et poĂšte Tristan Klingsor (1874-1966), Daunais pare Ă€ ma cousine de sonoritĂ©s tendrement chatoyantes et illustre habilement les climats contrastĂ©s du Chien de Jean de Nivelle.

PoÚtes québécois

Manuscrit autographe (page 1) de Les larmes. Fonds Lionel Daunais, Archives nationales du Québec

Sur la partition manuscrite de Ă€ quoi bon rĂȘver, en plus des parties pour la voix et le piano, on peut dĂ©celer, en contrechant Ă  la voix, l’esquisse d’une ligne instrumentale supplĂ©mentaire. Fort de cette dĂ©couverte, je me suis permis d’écrire une partie de flĂ»te en prenant l’ébauche du compositeur comme point de dĂ©part. Cette exquise musique se pose sur un texte mĂ©lancolique du journaliste et poĂšte quĂ©bĂ©cois Alfred DesRochers (1901-1978).

Daunais a mis en musique cinq poĂšmes d’Éloi de Grandmont (1921-1970), dramaturge, poĂšte et cofondateur du ThĂ©Ăątre du Nouveau Monde. Trois d’entre eux figurent sur cet enregistrement : Chanson d’amour qui baigne dans les souvenirs et le regret, Doux temps qui cĂ©lĂšbre la jeunesse bienheureuse sur un rythme de valse, tandis qu’une lueur d’espoir tempĂšre le chagrin que rĂ©vĂšle Les mots d’amour.

Les paroles et la musique des Ɠuvres suivantes sont entiùrement de la plume de Lionel Daunais (1901-1982).

Dans la lignĂ©e de la mĂ©lodie française, Blanc (du cycle Fantaisie dans tous les tons) esquisse quelques jalons de la vie mouvementĂ©e de Marie-Blanche, L’amour de moi exprime la complainte poignante d’une femme qui attend le retour de son mari parti en mer, et le protagoniste de La dame Ă  la poire est justement la bonne poire d’un innocent jeu de sĂ©duction.

Chansons pour la jeunesse

Daunais Ă©tant pĂšre de famille, on ne s’étonne pas qu’il ait Ă©crit de charmantes chansons pour la jeunesse. À la frontiĂšre entre mĂ©lodie française et chanson pour les enfants, le texte attendrissant de Trois flocons de neige fait rĂ©fĂ©rence Ă  la NativitĂ© tandis que sa mise en musique dĂ©ploie des harmonies recherchĂ©es.

Ce n’est qu’au dernier couplet qu’on se rend compte qu’Une petite chandelle est en fait une berceuse. Quant aux mĂ©saventures du Petit chien de laine, elles n’ont pas empĂȘchĂ© cette chanson de rapidement devenir l’une des plus connues et apprĂ©ciĂ©es du compositeur.

Chansons de variété

PlutĂŽt destinĂ©e Ă  un public adulte, la chanson de variĂ©tĂ© des annĂ©es 1930 Ă  1960, fiĂšre hĂ©ritiĂšre du music-hall, vise Ă  joindre et Ă  divertir un auditoire aussi large que possible. Ce disque en comprend deux : Les perceurs de coffres-forts aux accents jazzĂ©s et l’amusante Chanson du maĂźtre cordonnier, rĂ©cipiendaire en 1948 du Grand Prix au Concours de composition de chansons Marly-Polydor.

Conscient de la spécificité de la langue française au Québec et au Canada, Lionel Daunais déclare en entrevue radiophonique dans les années 1960 : « Je voulais écrire des chansons canadiennes et non des chansons françaises ».

Chansons humoristiques

Mary Travers, « La Bolduc ». Photo : BibliothÚque et Archives du Canada

Ses nombreuses chansons humoristiques, Ă  mi-chemin entre le chant folklorique et la chanson de variĂ©tĂ©, tracent un portrait de maintes facettes de la sociĂ©tĂ© de l’époque. Les thĂ©matiques comprennent entre autres la classe politique, le clergĂ©, les mets, la famille et la mĂ©tĂ©o. Avec Mary Travers, dite La Bolduc, il sera parmi les premiers auteurs-compositeurs-interprĂštes Ă  s’inspirer de la rĂ©alitĂ© quĂ©bĂ©coise. Certains textes ont certes un peu vieilli, mais la justesse avec laquelle l’interaction des personnages est reprĂ©sentĂ©e reste d’actualitĂ©.

Le cercle de couture met en scĂšne un joyeux trio de commĂšres aux langues bien dĂ©liĂ©es, les jeux de mots basĂ©s sur le latin ecclĂ©siastique abondent dans Monsieur le CurĂ©, et c’est sur un rythme galopant que nous dĂ©couvrons les multiples responsabilitĂ©s de Benoit, Le sacristain.

Monoplages

Trois Ɠuvres supplĂ©mentaires, en monoplages, accompagnent ce disque sur les plateformes d’écoute en continu : la magnifique Chanson des amours perduestoute en nostalgie; Le voyage de noces â€” chanson enregistrĂ©e en France dans les annĂ©es 1950 par nul autre que Bourvil — oĂč se dĂ©roule une situation Ă  la fois drĂŽle et embĂȘtante; et La tourtiĂšre, un hymne Ă  cet incontournable plat traditionnel du temps des fĂȘtes au QuĂ©bec.

Bonne écoute et belles (re)découvertes !

Marc Bourdeau, 2022